Le programme du FN est un
non-sens, c’est un suicide collectif !
Philippe
Torreton
Lundi, 2
Novembre, 2015
L'Humanité
Photo :
Patrick Nussbaum
Par Philippe
Torreton, comédien et auteur : "Si on ignore cela, on est complice… "
Les avis
d’orages grondent, le paysage politique français est en alerte orange, parfois
rouge dans certaines régions. Le FN progresse : il s’étend et se répand comme
une peste mais je ne parviens toujours pas à y voir un exploit de sa part, même
si certains de ses membres ne manquent pas d’habileté politique. Non, j’y vois
surtout le signe d’une prolifération. Je veux dire par là que la propagande du
FN progresse à cause d’un appauvrissement de la biodiversité politique, comme
les méduses qui dominent la faune océanique par manque de prédateurs et
finissent par saturer les mers de leur présence urticante et flasque. La méduse
est pleine d’eau, c’est de l’eau dans de l’eau, le FN, c’est du vide dans du
vide. Il se nourrit du vide politique actuel pour proposer un autre vide, un
néant létal. On peut ergoter longtemps sur le ras-le-bol des citoyens, sur ce
sentiment d’abandon qui pousserait à voter sévère, à voter amer, à voter à
l’envers. J’affirme que le chômage a le dos large, que les difficultés
économiques n’empêchent pas de réfléchir, que la déception, voire la
désillusion politique, la défiance ou l’écœurement envers les partis
majoritaires, n’interdit pas de rester un être humain généreux et fraternel.
Un épouvantail semant la division
Aujourd’hui,
nous n’avons aucune excuse, l’histoire nous a tout dit, tout répété et dans
toutes les langues, nous avons toutes les cartes en main, le repli sur soi
comme son corollaire le manque de courage n’ont plus d’alibi. Aujourd’hui, il
faut avancer à découvert. Toute personne votant pour le FN sait ce qu’elle fait
et sait dans quelles traces elle pose ses pieds.
Il n’est
malheureusement pas interdit de voter FN puisque nos gouvernements successifs
n’ont pas eu le courage de l’interdire lorsque celui-ci éructait régulièrement
ses penchants antisémites et révisionnistes et proposait aux Français un programme
en grande partie non conforme à notre Constitution. Au contraire, Mitterrand,
Chirac, Sarkozy, Copé, Hortefeux, Valls, Cazeneuve et tant d’autres se sont
servis de lui comme d’une arme électorale, tel un épouvantail semant la
division, ou en intégrant, en parfaite connaissance de la sémantique utilisée,
certaines expressions toutes faites du FN, en colorant leurs déclarations de
termes virils, en prenant des pauses sécuritaires pour plaire à cet électorat,
en reprenant les pires fantasmes de ce parti qui fait son beurre de toutes les
peurs.
Le président
Hollande à Strasbourg il y a quelques jours, sa riposte – saluée comme un
exploit – contient pourtant une ambiguïté absolument pas relevée par nos
observateurs : « (…) et d’éviter que ce soit le retour aux
nationalismes, aux populismes, aux extrémismes qui nous imposent aujourd’hui
d’aller dans un chemin que nous n’avons pas voulu. » Que voulait-il nous dire ?
Que l’on y est sur ce chemin ? Qu’il s’est fait imposer un chemin ? Est-ce un
aveu ? Cela expliquerait peut-être l’abandon du droit de vote des étrangers
extracommunautaires aux élections locales dès le lendemain du score important
du FN au scrutin européen du printemps dernier, par un Bernard Cazeneuve sûr de
lui, épaulé par Manuel Valls qui estimait que les Français n’étaient pas prêts.
J’aurais préféré entendre de la bouche du président : « (…) qu’ils
tentent aujourd’hui de nous imposer un chemin que nous n’emprunterons jamais. »
On l’a copié, utilisé comme un sondage d’une hypothétique France laborieuse et
souffrante et donc « vraie ». On a flatté son électorat, on l’a plaint, on lui
a prêté le bénéfice de la bonne question mais de la mauvaise réponse.
Un ordre fasciste : la censure des artistes
Depuis
toujours le FN c’est l’ordre fasciste, le refus de l’étranger, la préférence
nationale, la stigmatisation d’une population tenue responsable de troubles et
d’abus, l’insupportable et insistante utilisation du mot « race », c’est le
classement des civilisations, des peuples, des citoyens afin de déterminer une
préséance.
Le FN c’est
l’État ultra-sécuritaire et milicien, c’est la monarchie – la saga de la
famille Le Pen nous le rappelle chaque jour –, c’est l’ordre
religieux qui revient, car leur défense de la laïcité n’est qu’un prétexte pour
écouler leur islamophobie atavique, le moyen de lutter contre leur fantasme
préféré : l’Occident chrétien en danger d’islamisation forcée – thèse
largement soutenue par certains de nos imminents penseurs.
Le FN c’est
le contrôle et la censure : pas une ville gérée par le FN n’échappe à cette
tentation d’écarter un livre d’une bibliothèque ou un artiste de « (leur)
théâtre », de déboulonner une statue, de rebaptiser une rue, de repeindre une
œuvre d’art, de revisiter l’histoire et les traditions. C’est aussi chez lui
comme ailleurs l’argent qui domine, l’intérêt personnel, ce sont également des
alliances avec le pire de l’Europe fasciste quand ils ne le représentent pas
eux-mêmes.
Voter FN n’a rien à voir avec le désespoir !
On ne peut
pas voter FN et ignorer cela, on est complice. On s’inscrit dans l’histoire
avec ses pires oripeaux, c’est un choix, et ce choix n’a rien à voir avec le
désespoir ! Le désespoir de l’abbé Pierre l’a poussé à lutter contre la misère
avec les armes de l’amour et de la fraternité, le désespoir de Martin Luther
King l’a convaincu de la force du pacifisme, le désespoir de Nelson Mandela lui
a montré le chemin de la réconciliation de son pays, le désespoir de Jean
Moulin lui a fait tenir sa langue sous la torture, le désespoir de ma grand-mère
après la guerre l’a fait penser à ses enfants et petits-enfants dans le
sacrifice de sa personne sans un gramme de haine pour ceux qui avaient tué son
père et son jeune frère. Du plus instruit au moins instruit, du plus riche au
plus démuni, il appartient à chacun de faire de ses difficultés un sac de
serpent venimeux ou une force d’humanité et de courage. L’Europe, la
construction européenne, est complexe et ingrate. Je condamne et combats sa
politique budgétaire, ses incohérences de fonctionnement, ses lacunes
démocratiques, sa soumission à la finance, mais nous devons en être ses
défenseurs intransigeants, la critiquer en la faisant évoluer, en en étant une
force vive, en pointant du doigt le manque d’initiative de nos dirigeants, leur
absence de courage politique, car il y a de la place encore et toujours pour la
détermination d’une politique incarnée par un homme ou une femme. Il faut avoir
conscience qu’une construction comme celle-ci est infiniment plus complexe que
de rassembler des peuples par les armes ou de vivre sur les acquis d’un empire
totalitaire du levant ou du couchant du soleil. Cette Union européenne n’aurait
que l’avantage de la paix que ce serait déjà, pour nous tous, une immense
victoire.
L’histoire, l’Europe et la France
Le « souverainisme »
tel que le voit le FN n’est qu’un nationalisme qui attend son heure, sa vision
de l’UE est consternante et dangereuse, ce mythe d’une France forte toute seule
est un mensonge au peuple français, le retour au franc, une imbécillité
économique que même ses adhérents ne veulent pas réellement envisager.
Le FN, c’est
le pays des jouets dans Pinocchio qui transforme les enfants en baudets.
L’histoire est bonne fille, pour ceux qui n’auraient pas tout suivi des
événements européens depuis le début du XXe siècle : elle a placé à la
tête de la Hongrie un fond de casserole brûlé, un de ses prêcheurs du pire, un
qui a ses admirateurs dans les rangs FN. Et que voyons-nous dans ce pays ?
La censure,
l’homophobie, la xénophobie, tous ces virus de la conscience humaine, les
barbelés et des prisonniers transformés en travailleurs forcés. Le vote FN,
c’est cela, quoi qu’ils en disent et quels que soient leurs efforts pour
apparaître drapés de démocratie et de rubans tricolores. Voter FN, c’est
entourer la France de barbelés au sens propre comme au sens figuré, c’est
reprendre un chemin épouvantable en pleine conscience. C’est retrouver la
recette du chaos, c’est se laisser glisser vers le nationalisme en toute
connaissance de cause. C’est recommencer à aboyer !
Nous ne
devons plus tolérer cette attitude paternaliste des hommes politiques qui
consiste à « tenir compte de ce désespoir » et d’écouter ce qu’ils feignent de
considérer comme des « avertissements ». Entendre des élus locaux, déclarer
avant même l’arrivée du moindre réfugié sur leur territoire que leur commune ne
pourra pas les accueillir est une honte, les entendre insinuer que parmi eux se
cacheraient des terroristes est scandale inouï, ils font bégayer l’histoire,
ils me font penser à ceux-là mêmes qui écrivaient au maréchal Pétain pour ne
pas recevoir les juifs que ce gouvernement qualifiait alors d’indésirables.
Dans quelques années ces noms d’élus rimeront avec le déshonneur, et leurs
descendants les porteront comme autant de fardeaux. Soixante-dix ans après la
Seconde Guerre mondiale, constater que des élus de la République utilisent les
mêmes ficelles, les mêmes mensonges, les mêmes approximations, accusations
calomnieuses que la propagande nazie est un cauchemar que beaucoup de Français
ne pensaient pas revivre. Et pourtant nous y sommes.
Face au capitalisme, le partage
Tous les
calculs nous prouvent, et ce, depuis longtemps, que l’immigration ne plombe pas
nos budgets nationaux, ni celui de la Sécu, ni les autres. Entretenir les
Français dans cette méfiance est une véritable calomnie, c’est vouloir donner
au peuple un os à ronger, c’est pointer du doigt un fautif, c’est marquer d’un
signe distinctif les vêtements de ces peuples en exil. Le programme du FN est
un non-sens par rapport aux enjeux écologiques et humanitaires de la planète,
c’est un suicide collectif.
Tous les
régimes totalitaires ont commencé par un programme similaire à celui du Front
national : le brave peuple oublié à qui il faut redonner sa fierté, la
stigmatisation d’un ennemi ou d’un bouc émissaire (le juif, l’émigré, la gauche
bien-pensante, les artistes…), le repli sur des valeurs qui seraient « les
nôtres », le refus de tout ce qui pourrait apparaître comme une atteinte à la
souveraineté nationale, la priorité à la sécurité, la discipline, le culte pour
des figures historiques symbolisant la nation, etc. Plus que jamais il s’agit
de proposer un monde meilleur et j’utilise exprès cette expression tout droit
sortie de mes carnets d’adolescent, car il s’agit de savoir partager ce que nous
produisons avec ceux qui n’ont rien, ou presque rien, le monde n’a jamais été
aussi injuste qu’aujourd’hui. La vieille rengaine du capitalisme qui consiste à
nous faire croire que l’argent des riches enrichit les plus pauvres est battue
en brèche par tous les calculs et les projections, y compris ceux du FMI.
Notre survie, c’est l’urgence
d’un monde meilleur
Notre survie
dépend des facultés que nous aurons à partager l’eau, la nourriture, l’énergie,
le logement, le travail. Et pour cela il nous faut une réponse fiscale, une
réponse écologique, une réponse agricole, une réponse humanitaire. Notre
rendez-vous est là et seulement là. Des chercheurs en économie nous le
démontrent, nous n’avons pas d’autres solutions que le partage, que ce soit
d’un point de vue purement économique, humanitaire ou politique. Il y a une
urgence à inventer ce monde-là, il existe et il marche, il est testé partout
sur la planète,
en pointillé, il faut faire remonter
toutes les trouvailles technologiques, toutes ces inventions sociales, toutes
ces initiatives territoriales, et pour cela il nous faut un pays ouvert,
attentif aux autres, curieux de tout ayant conscience de ce qui nous attend,
pas cette France repliée, méfiante et paranoïaque que nous prépare le FN.
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