article paru dans le journal "l'humanité"
Un livre à paraître ce lundi, Mélenchon
et les médias,
décrypte
le traitement médiatique
du leader du Parti
de gauche et
candidat
du Front de gauche
à l’élection présidentielle
et ses
rapports
avec la télévision
et la presse.
Déjà en 1996, Pierre Bourdieu évoquait la « violence symbolique » du système médiatique (Sur la télévision,
par Pierre Bourdieu, Éditions Liber). « Cette violence invisible
tacitement admise par ceux qui la subissent et souvent par ceux qui
l’exercent. » « À propos du candidat du Front de gauche, on a parlé de
“relations houleuses” avec les médias, ce qui n’est pas exagéré… »,
notent Denis Sieffert et Michel Soudais, respectivement directeur et
rédacteur en chef de Politis et auteurs de cet ouvrage, Mélenchon et les médias (Éditions Politis, 96 pages, 8 euros).
"Colères jupitériennes"
Combien de dîners en ville évoquent cette “violence” de Mélenchon à
l’égard des journalistes, s’appuyant sur des scènes diffusées en boucle
sur Internet. Mais s’interroge-t-on sur le système médiatique et sur
« les médiacrates, représentants zélés d’une machine à fabriquer du
consentement à l’ordre social ? »
C’est tout l’intérêt de ce livre qui
n’est pas un livre sur Mélenchon et ne le dédouane pas de certaines
« colères jupitériennes » et autres coups de gueule, qui peuvent aussi
agacer, mais un livre sur son rapport aux médias.
Un fait édifiant sert d’introduction à Denis Sieffert et Michel
Soudais. Il est éloquent. Le 30 septembre dernier, 80 000 personnes
manifestaient à Paris contre le traité budgétaire européen. France 2 y
consacra un sujet dans son JT du soir. Que vit-on ? Qu’entendit-on ?
« On y voit évidemment des images colorées du défilé. Il fait beau et le
rouge est triomphant. » La caméra se porte en tête du cortège sur
Mélenchon. Les auteurs racontent : « Le commentaire off, comme l’on dit,
n’évoque pas directement le rassemblement. Il nous parle de Mélenchon
“sur tous les fronts”, “tête d'affiche de la manifestation”. Mélenchon,
nous dit le journaliste, est remonté sur son cheval. Dans une brève
interview, celui-ci estime que François Hollande “ne pourra plus
considérer que le traité européen est une formalité à expédier”. On le
voit ensuite allant d’usine en usine. Résumé haletant de la semaine d’un
activiste. Fin du reportage. » Mais pas la fin du sujet. Brice
Teinturier, directeur général de l’institut Ipsos, en plateau, a cette
formule : « Pour retrouver sa popularité, il fallait que Mélenchon
essaye d’incarner cette nouvelle opposition critique à l’égard du
gouvernement. » « Fermez le ban », ponctuent les auteurs.
Vision manipulatoire
Et Sieffert-Soudais de commenter : « L’exemple est édifiant à plus
d’un titre. D’abord parce que nous n’avons pas affaire ici à l’un des
reportages venimeux comme nous en avons tant vu à propos du Front de
gauche. Dans l’esprit des journalistes en tout cas, il n’est pas
acrimonieux. » Alors qu’est-ce qui cloche ? Et c’est là qu’il faut
chausser les bonnes lunettes chères à Bourdieu. Que peut retenir le
téléspectateur de ce mode de traitement ? Que Mélenchon a mis
80 000 personnes dans la rue pour soigner sa seule popularité. Une
starisation qui oublie au passage les autres composantes de la
manifestation ce qui, pour Sieffert et Soudais, est « une vision
manipulatoire de l’histoire qui occulte la dimension sociale et engendre
la dépolitisation ». On imagine aisément les réactions des trois
publics qui auront regardé cette séquence, chacun avec sa paire de
lunettes, expliquent-ils. Les journalistes auront trouvé le sujet
réussi, les militants auront éprouvé, comme souvent, de la frustration,
et le grand public aura pu penser que « les politiques sont tous les
mêmes, qui ne pensent qu’à leur cote de popularité ».
Résister à cet ordre-là est pour Mélenchon et les responsables du
Front de gauche un état d’esprit. On se souvient de la lettre ouverte de
Pierre Laurent à Yves Calvi, journaliste à France Télévisions, où, dans
les colonnes de l’Humanité, le secrétaire national du PCF protestait
avec force contre le fait que l’animateur de C dans l’air n’invitait jamais de représentants du Front de gauche dans ses émissions.
"Evaluation consternante de l'intelligence populaire"
Le livre de Denis Sieffert et Michel Soudais évoque bien évidemment
toutes ces petites histoires qui ont fait le buzz, et il lève le voile
sur certaines pratiques. « Mon regard critique sur les médias s’est
renforcé, explique le candidat du Front de gauche, à quelques jours du
premier tour de la présidentielle. Alors qu’ils (les journalistes) ont
la possibilité de structurer la discussion, ils ne l’ont fait à aucun
moment. Ils ont passé leur temps derrière les balles qui leur
paraissaient intéressantes, sur la base d’une évaluation consternante de
l’intelligence populaire. »
Sont évoqués son accrochage avec Demorand sur Europe 1, l’épisode de l’étudiant de Science-Po venu le questionner.
Est aussi évoqué l'épisode du Petit Journal de Canal Pus venu filmer
l’université du Parti de gauche à Grenoble, en août 2011, mais qui
quitta la salle au moment où Mélenchon allait commencer à parler. Les
équipes de Yann Barthès (qui se fait épingler beaucoup ces temps-ci)
étaient venues filmer « les gueules cassées de la vie ». Entendez les
pauvres. Ce livre décortique aussi l’offensive du Nouvel Obs, de Laurent
Joffrin, inquiet de la montée du Front de gauche. Cette centaine de
pages est un plaidoyer pour la liberté de la presse et pour un
pluralisme qui intègre le journaliste dans sa citoyenneté.
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