Le mucisien et compositeur grec réagit dans l'Humanité contre la campagne de l'UMP faisant de lui un antisémite.
«Je suis grec et fier de l’être, car nous sommes le seul peuple en
Europe qui, pendant l’occupation allemande (1941-1944), non seulement
n’a pas exercé de poursuites contre les juifs mais, au contraire, les a
aidés à vivre et à survivre avec tous les moyens dont nous disposions.
À l’époque, j’étais moi-même partisan de l’Armée populaire de
libération et je me souviens que nous avions pris sous notre protection
de nombreuses familles de juifs grecs, que nous nous sommes souvent
battus contre les SS pour les sauver et beaucoup d’entre nous l’ont payé
de leur vie.
Plus tard, j’ai composé le cycle Mauthausen que, notamment en Israël,
l’on considère quasiment comme un hymne national. J’ai ressenti une des
plus grandes émotions de ma vie quand, dans les années 1980, il m’a été
accordé de diriger cette œuvre sur le site du camp de concentration de
Mauthausen, tout d’abord chantée en grec par sa première interprète,
Maria Farantouri, puis en allemand par Gisela May, et en hébreu par la
chanteuse israélienne, Elinoar Moav. Je l’ai dirigée une fois encore sur
ces lieux et, depuis lors, l’œuvre enregistrée est diffusée sans
interruption sur le site du camp.
En 1972, j’ai bravé le boycottage européen et j’ai donné des dizaines
de concerts en Israël, des moments que je qualifierais d’historiques en
raison des liens d’amour mutuel qui nous unissaient.
À cette même époque, Yigal Allon, alors vice-premier ministre du
gouvernement israélien et ministre de l’Éducation et de la Culture, m’a
confié une première mission, celle de transmettre un message de paix à
Arafat au nom de son gouvernement. C’est dans cette intention que je
l’ai rencontré à Beyrouth et, à cette occasion, j’ai donné une
conférence de presse dans une salle. Un groupe de fanatiques
palestiniens avait décidé de m’abattre, car il me considérait comme un
complice des juifs. C’est Arafat lui-même qui me l’a dit le lendemain
avec, à ses côtés… le groupe de mes assassins en puissance. Qu’est-ce
qui m’a sauvé ? Mon amour authentique pour les deux peuples martyrs :
les juifs et les Palestiniens.
“Quand on t’a entendu pendant la conférence de presse, m’ont-ils dit,
on a compris que nous nous trompions.” Qu’est-ce que j’avais dit au
cours de la conférence de presse ? “Le conflit qui vous oppose ne sera
pas résolu par les armes, mais par la compréhension mutuelle. De l’autre
côté, il y a des hommes ordinaires qui vous ressemblent, simples et
travailleurs, capables d’aimer et qui, comme vous, aiment leur famille
et leur pays. C’est eux que vous devez trouver, parce que c’est avec eux
que vous pourrez vivre dans la paix.”
Arafat m’a dit : « Tu as chanté les juifs et tu as eu raison, car ils
sont, eux aussi, un peuple tourmenté. Comme nous. Alors, s’il te plaît,
écris une chanson pour nous aussi…” C’est ainsi que j’ai écrit aussi un
chant pour le peuple palestinien qui est devenu son hymne national.
Bien plus tard, à l’occasion de la remise du prix Nobel de la paix à
Rabin (Israël) et à Arafat (Palestine), l’Orchestre symphonique d’Oslo
avec, en soliste, l’interprète finlandaise Arja Saijonmaa, a joué
Mauthausen en hommage à Israël et le chant que j’avais composé, reconnu
comme hymne national, en l’honneur du peuple palestinien. Ce moment
symbolique suffit à démontrer la place que j’occupe dans l’esprit et
dans les cœurs des deux peuples.
Je suis souvent allé en Israël, en Palestine et au Liban, et c’était
chaque fois la paix, l’amitié, la coexistence et la coopération entre
ces deux peuples martyrs qui occupaient mes pensées. En tant que Grec,
je me sens proche d’eux, comme si nous appartenions à la même famille.
Et pourtant, pour certains fanatiques, d’un côté comme de l’autre, je
suis la cape rouge agitée devant le taureau. Pourquoi ? Parce que j’ai
la franchise et le courage de dire la vérité et de la dire même dans la
gueule du loup. Ainsi, quand je suis en Palestine, je m’exprime
ouvertement et publiquement contre les fanatiques qui me haïssent et,
quand je suis en Israël, je fais de même en critiquant tout aussi
ouvertement et publiquement les fanatiques qui, en raison de la diaspora
juive présente dans tous les pays du monde, ont la possibilité de
transformer leur haine en venin et en mensonges monstrueux.
Dans mon opéra les Métamorphoses de Dionysos (dont j’ai écrit aussi
le livret), il y a une scène où des juifs sont déportés par des SS dans
des camps d’extermination. Il s’agit d’un moment crucial de l’œuvre,
d’une condamnation du nazisme qui dévoile d’une façon très humaine
l’affliction psychique et intellectuelle que je ressens devant les
souffrances des juifs.
D’ailleurs, la dénonciation du racisme et la défense de ses victimes
ont guidé mes décisions et mes actes tout au long de ma vie. Une vie
jalonnée de poursuites qui m’ont souvent poussé jusqu’au seuil de la
mort.
Donc, me qualifier de raciste et d’antisémite n’est pas une simple
calomnie, mais l’expression de la pire bassesse morale, issue le plus
souvent de cercles proches d’organisations et d’individus opérant dans
la mouvance du néonazisme et auxquels la crise a permis de relever la
tête pour nous menacer et – incroyable, mais vrai – nous accuser, eux,
d’antisémitisme en utilisant un arsenal de mensonges et de déclarations
insidieuses !
Il suffit de dire, par erreur manifeste, dans une interview de trois
heures, “antisémite” au lieu d’“antiraciste”, et on s’empare d’une seule
et unique phrase dont on isole un mot, brandi comme un étendard, tout
simplement pour servir l’intention de m’incriminer. Depuis combien
d’années était-on aux aguets pour une simple erreur ? Le mot
“antisémite” correspond-il vraiment à ce qui suit ? “J’aime le peuple
juif avec lequel nous avons vécu et souffert en Grèce pendant des années
et je hais l’antisémitisme.” Je suppose que mes différents ennemis se
sont bien gardés de citer ces paroles. Et pourtant, c’est exactement la
phrase que j’ai prononcée. Ce n’est pas quelque chose que je viens
d’inventer, après-coup, en guise d’alibi. Il en est ainsi, et il est
facile de le prouver de façon incontestable en écoutant toute la phrase,
exactement comme je l’ai prononcée et non pas en la tronquant comme
l’ont voulu mes adversaires.
Peut-être va-t-on se demander pourquoi et comment certains persistent
à vouloir discréditer un ami si fidèle d’Israël et des juifs et tentent
de me faire passer à tout prix pour un antisémite? (De qui parle-t-on ?
De quelqu’un qui a connu les sous-sols de la Gestapo pour les sauver !)
Toutefois, la réponse est finalement simple : beaucoup de mes amis
juifs sont d’accord avec moi. Certains sont d’accord avec moi, même
s’ils vivent en Israël, donc dans la tourmente quotidienne des
événements. Alors, si les simples citoyens du peuple d’Israël entendent
mes idées, telles qu’elles sont réellement exprimées, ils “risqueraient”
(selon mes ennemis, bien sûr) d’être d’accord avec moi, en pensant que
la solution du problème ne se trouve pas dans la violence et les armes,
mais dans la coexistence et la paix. Ce qui ne plaît pas du tout à mes
adversaires car, bien sûr, j’ai – à plusieurs reprises – totalement
désapprouvé la politique de l’État d’Israël et j’ai exprimé ce désaccord
avec force et de la façon la plus claire et la plus catégorique (comme
je le fais toujours). Pour ne pas courir le risque que ces citoyens se
rangent à mes opinions, ils ne doivent pas les entendre. Et quelle est
la meilleure et la plus sûre façon de procéder pour arriver à ses fins ?
Eh bien, leur tactique habituelle : me coller “l’étiquette”
d’antisémite, de sorte qu’aucun juif, où qu’il se trouve, ne veuille
plus entendre non seulement mes idées, mais même mon nom.
Et maintenant, particulièrement en France – où brusquement on “s’est
souvenu” d’une interview donnée il y a environ un an et demi –, il
existe, de toute évidence, une autre raison : porter atteinte à la
gauche. Leur prétendu “argument” est que son leader, Jean-Luc Mélenchon,
me connaît et que, par conséquent… il a des amis antisémites !
Toutefois, la vérité – malheureusement pour eux – est évidente et je
pense que tout homme animé de bonnes intentions peut s’en rendre compte.
Donc, même si après la lecture de ce qui précède, certains persistent
encore à me faire passer pour quelqu’un que je n’ai jamais été et que,
bien sûr, je ne suis pas, le doute n’est plus permis. Tout est fait
sciemment pour servir d’autres finalités, car ma foi inébranlable dans
la paix et la coexistence des deux peuples martyrs, juif et palestinien,
en dérange plus d’un. »
Athènes, le 15 juin 2012
(Traduit du grec par Arlette Manoli)
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