Nous publions ce texte pour la réflexion de tous, écoutez également l'interview de mélenchon sur bfm-tv, le tchatte de pierre laurent dur le monde.fr et l'interview de c. piquet dans "l'humanité" (articles à suivre)
Anciens dirigeants du Pari de Gauche, dont Jacques Rigaudiat a
démissionné récemment, Claude Debons et Jacques Rigaudiat formulent, sous le
titre "L'avenir du Front de
gauche - premières réflexions à l'issue de la séquence
présidentielles-législatives", d'utiles réflexions critiques
et des propositions.
La séquence électorale présidentielles-législatives est maintenant close. Le moins que l’on puisse dire est que la campagne du Front de Gauche aura connu des phases contrastées en passant du chaud au froid.
Le
chaud, c’est la dynamique militante de la présidentielle, les
grands meetings de masse, les liens tissés avec les entreprises en lutte et les
syndicalistes, l’engouement populaire constaté ; même si, au final, il y a eu
un décalage entre la dynamique militante forte et une dynamique électorale
moindre. Il n’est pas anormal qu’après les échecs et déceptions accumulées
depuis plusieurs années la remobilisation touche d’abord les franges les plus
politisées ; pour les autres, il y faudra plus de temps.
Le
froid, c’est le score des législatives, où le Front de Gauche
progresse en voix et en pourcentage par rapport à 2007, mais recule
sensiblement par rapport au score de la présidentielle — alors même que
certains d’entre nous espéraient que la pression du « vote utile » serait
moindre — et c’est la perte de députés sortants malgré des scores en progrès
pour la plupart. Cela laisse le goût amer d’un groupe parlementaire diminué,
d’un affaiblissement institutionnel rendant plus difficile de peser au
quotidien sur le gouvernement, d’une image de défaite et d’échec propagée par
les médias.
Même
si la réalité est toujours plus complexe et contradictoire,
même si l’acquis engrangé dans ces mois de campagne n’a pas disparu et constitue
un socle substantiel pour continuer, il n’en demeure pas moins que le Front de
gauche devra affronter l’avenir avec ces handicaps.
Il
convient donc de se livrer à une analyse lucide de ce
qui a conduit à un résultat bien éloigné de certaines affirmations (« nous
serons en tête de la gauche », « nous allons devancer le Front national »), si
l’on veut trouver les moyens de rebondir. Face à des militants troublés par les
résultats, il est important de donner une grille de compréhension de ce qui
s’est passé pour bâtir des perspectives. Nous avions déjà mis en garde, il y a
un an, alors que nous prenions nos distances avec le Parti de gauche, contre «
une analyse fantasmagorique de la situation française, décrite comme
quasi-prérévolutionnaire » servant de « justification à une orientation
protestataire-révolutionnariste » ne répondant pas aux attentes populaires
réelles. Au vu de la séquence qui s’achève, nous n’avons rien à retirer à cette
mise en garde qui nous apparaît au contraire prémonitoire. Dans ce texte, nous
nous contenterons de souligner quelques aspects essentiels, considérant que
d’autres contributions (rapport de Pierre Laurent, texte de Roger Martelli,
remarques de Pierre Khalfa, etc.) complètent utilement
l’analyse
que nous proposons ici :
1 - Le paysage politique
ressort transformé de cette séquence électorale.
Nous
ne développerons que brièvement et renvoyons aux textes ci-dessus évoqués.
L’élection
présidentielle a vu une forte participation nourrie par sa place de clé de
voûte de la 5° République, amplifiée par la volonté large de tourner la page du
sarkozysme, par la violence de la campagne de Sarkozy sous pression du Front
national. Elle a, en retour suscité la mobilisation à gauche.
Au
premier tour, la droite réalise son plus mauvais score depuis 1988 (56,4 %) :
le recul de Sarkozy et l’effondrement de Bayrou n’étant pas compensé par la
poussée de Marine Le Pen, qui a confirmé la prégnance du FN sur la société
française depuis 1984. La gauche (43,6 %) se retrouve à un niveau supérieur à 1995,
mais reste en dessous des scores de 1974, 1981 et 1988. Ce sont les divisions à
droite qui lui permettent de l’emporter. Eva Joly n’a pas réussi à occuper
pleinement l’espace de l’écologie politique. Jean Luc Mélenchon a réussi à
cristalliser sur son nom un électorat auparavant dispersé à la gauche du PS,
réalisant un score à deux chiffres jamais obtenu par un candidat à la gauche du
PS depuis Georges Marchais en 1981. Son score est meilleur que le total des
voix du et de l’extrême gauche en 2007 (+ 3,7 %), mais reste inférieur au même
total enregistré en 2002 (- 2,8
%) et
en 1995 (- 2,8 %). C’est indiquer tout à la fois des potentialités… et le
travail de conviction qui reste à faire pour aller au-delà.
Les
élections législatives ont connu une abstention qui atteint un
niveau historique, signe qu’une part de l’électorat a considéré que l’essentiel
était déjà fait (inversion du calendrier et proximité des dates aidant), mais
aussi, sans doute, persistance du scepticisme devant la capacité du politique à
changer les choses. La période de « Trente Glorieuses » et ses conquêtes
sociales avaient alimenté la mobilisation électorale à gauche, relayée et
amplifiée par le programme commun. La crise économique et l’impuissance des
politiques de droite et de gauche à apporter des réponses ont cassé cette
dynamique et alimenté un retrait du politique, notamment dans les classes
populaires. Pour ceux qui sont allés voter, en tout cas, ils se sont exprimés
en faveur des deux formations jugées les plus aptes à exercer les
responsabilités du pouvoir. A gauche, il y eu la volonté de donner au président
élu les moyens de sa politique. A droite, le choix s’est porté sur le parti
jugé le mieux à même de s’opposer à la gauche et de préparer l’alternance,
restreignant par là même les espoirs du Front national. D’où une réaffirmation
marquée de la bipolarisation partisane et le recul des autres forces par
rapport à la présidentielle. Pour le Front de Gauche, il est sensible avec la
perte de plus de la moitié des voix (abstention et vote PS), un recul en
pourcentage de 4 points environ et la perte de sièges qui en découle. Par
contre, le Front de Gauche progresse par rapport au PCF en 2007 et retrouve une
audience plus homogène sur tout le territoire. Mais cette progression n’empêche
pas plusieurs de nos sortants d’être dépassés par des candidats PS en plus
forte progression.
Ces campagnes
auront
permis à la gauche de l’emporter, mais Sarkozy a réussi à mieux résister qu’on
ne l’imaginait malgré son discrédit. L’ampleur du vote PS aux législatives
n’est-il que le produit de « la logique des institutions » et ne conduit-il pas
à s’interroger à rebours sur la nature du vote Hollande : n’était-il que « par
défaut », pour chasser Sarkozy, ou traduit-il une intériorisation de la gravité
de la crise et une adhésion/résignation majoritaire à un changement mesuré ? La
droite se trouve plongée dans la crise notamment sur l’attitude face au Front
national : des digues sont tombées pour certains, alors que d’autres veulent
les maintenir ; des recompositions s’annoncent. Le Front national a marqué des
points, ce sont ses thématiques qui ont dominé le deuxième tour de la
présidentielles, signe inquiétant que son travail d’élargissement de sa
prégnance idéologique et politique se poursuit. Le Front de Gauche a confirmé
sa place de deuxième force à gauche, mais n’a pas encore accédé à une
crédibilité suffisante pour être considéré comme force pouvant conduire un
changement concret à l’échelle du pays, cela reste à construire.
2 - Pour le Front de
Gauche, la situation est désormais compliquée.
Il y
a eu une progression électorale sur les trois ans écoulés, elle a validé la
stratégie de rassemblement et permis d’installer le Front de Gauche comme
deuxième force politique à gauche. Si le poids politique est conforté, le poids
institutionnel s’est, par contre, affaibli avec la perte de la moitié des
députés. Contrairement à ceux qui théorisent maintenant une ligne «
extraparlementaire », pour mieux évacuer tout débat sur le bilan, nous
considérons que, dans une société démocratique, notre affaiblissement
parlementaire est un problème. Même si, dans notre conception, la lutte
politique ne s’y réduit pas et inclut les mobilisations et interventions
diverses, c’est bien l’articulation entre les différents niveaux qui peut
donner une pleine efficacité. Quand l’un s’affaiblit, c’est l’ensemble qui se
trouve fragilisé.
Bien sûr, il y a le
mécanisme institutionnel de la 5° République
et
du scrutin majoritaire à deux tours qui rend difficile une existence autonome
des deux partis dominants. S’il n’est pas idéologiquement et organiquement
cristallisé (voir le jeu à quatre, voire cinq, à la présidentielle), le
bipartisme PS/UMP ressort institutionnellement renforcé à l’Assemblée
nationale. Quand la question du pouvoir est posée, il n’y a aujourd’hui que
deux forces qui sont jugées crédibles par une majorité d’électeurs. Pendant
longtemps, l’existence de « bastions » du Parti communiste a permis son
affirmation autonome. Ce temps est désormais révolu, le Parti socialiste parvenant
à évincer, élection après élection, plusieurs des sortants communistes. Bayrou
et le Modem en ont aussi fait la douloureuse expérience. Force ascendante, le
Front national a pu desserrer l’étau pour 2 ou 3 circonscriptions seulement ;
ainsi il fera son entrée à l’assemblée et cela — c’est une première — sans le
secours de la proportionnelle. Anticipant l’impossibilité pour eux d’avoir des
élus par une voie autonome, Europe Ecologie Les Verts, MRC et Radicaux de
gauche avaient négocié un accord programmatique et électoral les liant avec le
PS. A droite, le parti radical et le nouveau centre avaient fait de même avec
l’UMP. Cela aussi pose de redoutables questions stratégiques pour l’avenir et souligne
l’urgence de la bataille pour un changement de mode de scrutin, mais le PS, à
qui ce système donne la main sur ses partenaires, ira-t-il très loin dans la
réforme promise ?
Bien sûr, le rejet de
Sarkozy a bénéficié avant tout au candidat PS,
jugé
mieux à même d’assurer sa défaite. Le même phénomène s’est reproduit aux
législatives, contrairement à l’espoir que certains d’entre nous pouvaient
avoir qu’il y aurait moins de pression pour un « vote utile » qu’à la présidentielle.
Cela doit nous interroger sur les raisons pour lesquelles nous n’avons pas
réussi à suffisamment crédibiliser l’utilité du vote Front de gauche aux
législatives. Mais il faut souligner que Hollande et le PS ont su mener les
deux campagnes avec des « marqueurs » identifiants qui ont fonctionné : contre
la finance (discours du Bourget), pour l’égalité et la justice (héritage
républicain fort), pour d’autres choix européens (renégociation du traité
Merkozy). Pour modestes qu’elles soient, les mesures prises ou annoncées dans
cette toute première phase (retraites, abrogation de la circulaire Guéant,
retour à la justice des mineurs, texte sur le harcèlement sexuel, majoration de
l’allocation de rentrée scolaire, promesse pour le SMIC) et le dialogue social
renoué ont modifié la perception des acteurs sociaux par rapport au mépris
antérieur. L’affrontement mis en scène avec l’Allemagne et les manœuvres pour
contourner ses positions (réception d’émissaires du SPD allemand à l’Elysée, discussion
en bilatéral avec Monti) ont été perçus comme une volonté bienvenue d’infléchir
l’orientation européenne, même si cela reste à confirmer et concrétiser. Enfin
le PS a mené une vraie campagne nationale, donnant ainsi aux législatives leur
véritable dimension. Tout cela a favorisé l’élection de députés de la «
majorité présidentielle », les électeurs de gauche souhaitant donner à Hollande
les moyens de mettre en œuvre « le changement maintenant ».
Pour autant, il y a des
explications qui relèvent de la responsabilité propre du Front de Gauche, de
ses limites et de ses choix.
-
A la présidentielle, notre campagne a connu trois phases.
Une première, « bruit et fureur », qui nous laissait scotché à un bas niveau.
Une seconde, plus « propositionnelle », scandée par les grands meetings de
masse, construisant notre utilité pour toute la gauche en remobilisant des abstentionnistes
et en ancrant la gauche à gauche pour garantir le changement ; elle nous a
permis d’atteindre des sommets sondagiers. Une troisième, où nous avons donné à
penser que nous tablions par avance sur l’échec de Hollande (« je suis le
recours »), que nous nous désintéressions du changement ici et maintenant
(refus, par principe et non sous condition politique, de participer à un
gouvernement qu’on ne dirigerait pas, affirmation que « nous serons au pouvoir
avant dix ans ») et que notre préoccupation première était la compétition avec
Le Pen. Cela — avec la pression du vote utile — a contribué à nous amener au
score final.
-
L’utilité du vote
Front de Gauche n’a pas été construite de manière
suffisamment crédible ayant oscillé aux présidentielles entre l’ambition de
supplanter le PS ou d’en être l’aiguillon et étant largement minorée aux
législatives par la faiblesse, sinon l’absence, d’une campagne nationale. La question
de l’articulation au reste de la gauche a connu des réponses fluctuantes, au
gré des personnes ou des moments, brouillant la perception de notre démarche et
de notre visée. Le discours « révolutionnaire » permettait sans doute de
soulever l’enthousiasme des franges politisées de l’électorat et de les faire
adhérer à une certaine conception de la gauche : il ne pouvait — dans une situation
qui n’est pas prérévolutionnaire — convaincre plus largement que nous
constituions une gauche pour faire aboutir de meilleures propositions. La
posture du ni-ni (ni dans l’opposition, ni dans la majorité) ne peut pas être
comprise par des électeurs qui souhaitent que la gauche réussisse et peuvent
être heurtés si l’on parie par avance sur son échec. Si, comme le disent
certains sondages, 30 % des électeurs de Mélenchon ont voté PS aux
législatives, cela doit nous interroger.
-
Ce déficit de
crédibilité a été renforcé par le choix fait, dès
la présidentielle et prolongé par l’aventure téméraire d’Hénin Beaumont, d’une
stratégie « front contre front » qui nous a déporté du message essentiel que
nous devions porter : « Battre la droite et l’extrême droite et ancrer la
gauche à gauche pour changer vraiment ». Pire, cela a conduit à une
présentation médiatique du Front de gauche comme le « pendant » du Front
national, ce qui n’était pas de nature à conforter notre crédibilité en termes
de pouvoir. Ce « déport » a été d’autant plus sensible qu’il a manqué une visibilité
nationale du Front de gauche dans la campagne des législatives. Ce sont
essentiellement des campagnes locales qui ont été menées, privilégiant les «
bons » représentants de circonscriptions, mais minorant ainsi l’enjeu national
de ces élections. Au total, le résultat d’Hénin Beaumont où, en dépit des
efforts militants, l’abstention a progressé et où l’audience du FN n’a pas été
érodée doit servir de leçon pour l’avenir et nous interroger sur la meilleure
manière de combattre le Front national.
- Enfin,
il
faut s’interroger sur la pertinence du concept de « révolution citoyenne », qui
ne fait écho à aucune tradition historique nationale. Son caractère abstrait
fait que les gens ne retiennent que le premier terme associé au « bruit et à la
fureur », ce qui suscite nombre d’inquiétudes. Nous lui préférons pour notre
part celui de « nouveau front populaire » impliquant une articulation entre
luttes sociales et politiques.
En soulignant ces
traits, nous ne méconnaissons pas l’ampleur de l’engouement et de la mobilisation
permis par une campagne unitaire et dynamique avec un candidat au talent tribunicien
incontestable.
Il y
a eu une nationalisation de l’audience du Front de Gauche sur tout le territoire,
qui permet d’envisager une reconstruction plus ample ; mais cette dernière n’a
toutefois pas permis d’enrayer l’usure des bastions communistes, ce qui
complique la volonté d’autonomie par rapport au PS. Mais si nous voulons que le
capital ainsi rassemblé ne soit pas érodé par la déception immédiate, il est
absolument nécessaire d’avoir un réel examen critique de ce qui n’a pas
fonctionné pour pouvoir le corriger utilement.
3 - Revenir aux
contradictions réelles pour bâtir une stratégie crédible.
D’abord comprendre la
nature spécifique de l’affrontement de classe qui se joue sur le continent européen
et
qui n’est pas réductible à une transposition mimétique des révolutions
latino-américaines ou arabes. Il s’agit, pour la bourgeoisie, d’imposer un
ordre nouveau, celui du capitalisme mondialisé, impliquant la remise en cause
du “modèle social” hérité des rapports de forces de l’après seconde guerre
mondiale. Or, cette confrontation intervient à l’issue de près de trois
décennies d’offensives libérales, de défaites subies, de fragmentation sociale
et de recul de la conscience de classe. Il faut bien mesurer que nous ne sommes
plus dans la situation des « Trente Glorieuses » et des rapports de forces
issus de la Résistance et de la Libération. Nous sommes dans le contexte de la
mondialisation, de la mise en concurrence des systèmes sociaux et des régimes
fiscaux compétitifs pour parler comme David Cameron, et du tournant libéral de
l’Union européenne devenue instrument coordonné de démantèlement social,
auxquels s’ajoute de surcroît le surgissement de la question écologique. Nous avons
connu une dégradation profonde des rapports de forces, matérialisée par la
modification de la répartition des richesses au détriment du travail, un recul
des systèmes de solidarité et des services publics, une fragmentation du
salariat sous l’effet du chômage de masse et de la précarité, la mise en concurrence
des salariés entre eux par les nouvelles organisations productives. Ceci intervenant
dans un contexte de désindustrialisation qui a décimé la classe ouvrière, par
ailleurs désarmée de sa vision du monde et de son projet historique par la
faillite du « socialisme réel » et le ralliement de la social-démocratie européenne
au libéralisme. Le tout, enfin, baignant dans l’idéologie libérale, relayée par
tous les grands médias comme par une large partie du monde intellectuel. Elle a
profondément bousculé les valeurs, les repères et les représentations héritées
de l’histoire du mouvement ouvrier et démocratique dans notre pays et ailleurs
en Europe. Excusez du peu ! Comment imaginer que cela n’aurait eu aucune
conséquence sur ce que nous appelions la « conscience de classe », sur les
voies et les moyens de la mobilisation populaire, sur les conditions de la
transformation sociale dans le capitalisme contemporain ! C’est bien cette
réalité-là que nous devons absolument regarder en face plutôt que de continuer
de la fuir dans des constructions imaginaires qui s’avèreront nécessairement
des échecs.
Les mouvements sociaux
de ces dernières années en France et en Europe témoignent du refus d’accepter
les politiques libérales.
Leur
persistance est exceptionnelle eu égard aux reculs et défaites subies depuis
plus de deux décennies. Ils montrent des potentialités et constituent des
points d’appui pour construire une contre-offensive politique et sociale, mais
ils butent sur la difficulté de l’alternative. Ces mouvements disent le refus
de mesures injustes et brutales. Ils expriment une prise de consciences des
méfaits du néo-libéralisme. Ils manifestent le rejet « des banquiers et des
politiciens ». Ils indiquent une aspiration à la justice et à la démocratie,
c’est-à-dire à un autre partage des richesses et à la maîtrise par les citoyens
de leur avenir. C’est un point d’appui décisif pour combattre le
néo-libéralisme et ouvrir des perspectives et il faut être au cœur de ces
mouvements et encourager leur développement.
Mais ces mouvements
butent sur la question de la perspective politique alternative
que,
dans la plupart de ces pays, ils ne sont pas en capacité de résoudre à court
terme pour des raisons profondes (voir ci-dessus), du fait de la faiblesse de
la gauche de transformation et de la difficulté pour que, dans ces conditions,
l’irruption sociale se transforme en construction politique.
Le dernier mouvement
social sur les retraites a
ainsi confirmé une capacité de mobilisation forte qui montre que le pays n’est
pas résigné à l’acceptation de réformes inégalitaires et injustes Pour une
fraction croissante (mais plus réduite que la masse de ceux qui ont rejeté la
réforme des retraites), cela s’est accompagné d’un rejet plus global du «
sarkozysme », des politiques libérales et, plus largement, du « modèle »
libéral (cette prise de conscience a bien évidemment été amplifiée par
l’éclatement de la crise qui discrédite profondément ce qui nous avait été
présenté comme « la seule politique possible »).
Mais quand il s’agit de
la conscience politique de l’alternative, là, les choses sont beaucoup plus confuses
comme l’avaient déjà montré les élections cantonales — ou à leur manière les
sondages — et maintenant les derniers résultats électoraux.
Dans la situation
actuelle, il y a donc des potentialités et des limites ; exploiter au mieux les
premières suppose de ne pas ignorer les secondes.
Cette
réalité dessine les tâches politiques qui devraient être les nôtres pour
surmonter ces difficultés. Si la crise signe la faillite du modèle libéral et
interdit une adhésion de masse à son projet, le brouillage et la prégnance
idéologiques demeurent largement. Le libéralisme n’est pas fort par ses
résultats, qui le discréditent, mais par l’inexistence d’un « modèle »
alternatif crédible (et nous ne pensons pas que « L’Humain d’abord » y
suffise). La question de l’alternative à construire est loin d’être résolue,
justement du fait de ce que nous avons énoncé plus haut. Il ne suffit pas de
recycler des mots d’ordre anciens pour être crédible. Imaginons un peu que
trente ans de libéralisme dominant signifie que la plupart de celles et ceux
qui ont moins de 45 ans — si on situe l’âge de raison politique à 15 ans ! —
n’ont baigné dans aucune autre « ambiance » !
Il y a donc un travail à
faire d’analyse de tout ce qui a changé depuis trois décennies et d’élaboration
de réponses qui pour une part doivent se renouveler en s’enracinant dans les
réalités et les consciences d’aujourd’hui.
Nous
avons au Front de Gauche les expériences et capacités militantes et
intellectuelles pour mener ce travail. Encore faut-il prendre conscience de son
importance pour l’entreprendre.
4 - Tout de suite,
répondre à la nouvelle situation.
Dans
la nouvelle situation, certains pronostiquent que, confronté à la crise et à
ses engagements de réduire le déficit budgétaire, François Hollande va mener
une brutale politique d’austérité (“Hollandréou”), qui va provoquer une révolte
populaire qui ne manquera pas de se tourner vers nous comme “recours” pour nous
porter au pouvoir “avant dix ans”. Dès lors, il suffirait de se prépositionner
comme “opposition de gauche” en attendant la “trahison” social-libérale qui ne
manquera pas d’intervenir rapidement pour pouvoir “rafler la mise”. Nous ne
croyons pas à ce scénario : si la gauche devait échouer, craignons que la
déception ne se tourne vers l’extrême droite. Si nous devions adopter ces
analyses et orientations néo-NPA nous finirions dans la même marginalité.
Attention aux hypothèses trop unilatérales ou aux déterminismes trop simplistes
en Histoire !
La crise est profonde et
durable, mais les marges de manœuvre pour y faire face ne sont pas équivalentes
selon les pays.
En
France, la pression des marchés ne s’exerce pas via les emprunts, pour
l’instant toujours contractés par notre pays à des taux historiquement bas.
Cela peut bien sûr évoluer mais la France n’est pas la Grèce, ni même
l’Espagne. Les engagements de retour à un déficit de 3 % en 2013 sont une
contrainte poussant à l’austérité, mais il peut toujours y avoir des
aménagements de calendrier, surtout si la croissance n’est pas au rendez-vous
(on va bien le faire pour la Grèce et sans doute aussi pour l’Espagne, puis le
Portugal, puis l’Irlande… !), les réformes fiscales peuvent apporter des
recettes supplémentaires, et l’étau européen peut se desserrer quelque peu à
l’issue de la confrontation politique en cours. Et si d’aventure la zone euro
venait à éclater du fait de la Grèce, de l’Espagne ou autre, Hollande n’en
serait pas tenu pour responsable et beaucoup croiseraient les doigts pour qu’il
nous sorte au mieux de la difficulté, avant d’envisager de se mobiliser contre
lui. Rappelons que si Syriza a dépassé le PASOK c’est à l’issue d’un
gouvernement Papandréou ayant mené une politique antisociale inouïe. Ni en
Espagne, ni au Portugal, les politiques d’austérité de Zapatero et de Socrates
n’ont permis à la gauche radicale de devancer les partis socialistes dans ces
pays, en dépit de mobilisations sociales de grande ampleur.
Dès
lors, le gouvernement français peut-il parvenir à mener une politique de
“rigueur juste”, voire d’austérité mesurée, accompagnée de mesures de justice
sociale limitées (voire très limitée si l’on en croit les rumeurs sur la hausse
du SMIC !), d’une réforme fiscale permettant d’améliorer les recettes, s’accompagnant
d’une inflexion partielle du dogmatisme libéral européen ou sera-t-il contraint
par l’aggravation de la crise à des mesures plus brutales ? Comment des
citoyens soumis au matraquage médiatique déployé pour expliquer la gravité de
la crise et l’inéluctabilité des “efforts” ressentiraient ils cela : comme un
“moindre mal” ou comme une agression insupportable ? Quelle pourrait être
alors, selon les hypothèses, la dynamique du mouvement social, ses rythmes, ses
thèmes, son ampleur ?
Hormis
les entreprises confrontées à des licenciements et qui n’ont d’autre choix que
de se mobiliser, quels secteurs professionnels seraient susceptibles d’une
dynamique revendicative forte à la rentrée ?
La
ponction d’effectifs sur certains ministères pour compenser les créations de
postes dans l’Education nationale, la Police et la Justice suscitera-t-elle une
mobilisation dans les secteurs les plus touchés ? Et sur le plan
interprofessionnel, quelles possibilités d’action dans le contexte actuel de division
syndicale et de crise de succession à la CGT ? Nous nous garderons bien de
trancher de manière péremptoire…
Indépendamment des
hypothèses de travail que l’on peut formuler sur les scénarios de la politique
gouvernementale ou du mouvement social, c’est la question de notre stratégie et
du rapport dynamique au reste de la gauche qui est essentielle si nous voulons
éviter le piège de la marginalisation qui résulterait d’une posture
d’extériorité purement dénonciatoire et protestataire, ou le piège de la
dilution qui résulterait d’une démarche opportuniste insuffisamment critique et
distanciée.
C’est
une approche dynamique qui nous semble nécessaire. Nous avons été des acteurs
de la défaite de Sarkozy et de la victoire de Hollande, nous avons participé,
au travers du désistement républicain, au front commun de la gauche au deuxième
tour des présidentielles et législatives pour battre la droite et l’extrême
droite.
Nous sommes donc dans le
camp de la gauche, dans la majorité de gauche qui a triomphé de la droite et de
l’extrême droite. Mais nous ne sommes pas dans la majorité présidentielle
rassemblée autour des “60 propositions”, ni dans la majorité gouvernementale
chargée de les mettre en œuvre ; position illustrée aujourd’hui par notre refus
de participer au gouvernement et, demain, par la nécessité de ne pas voter en
faveur du discours de politique générale du premier ministre ou du prochain
budget.
Nous
ne pouvons être audibles de l’immense majorité des électeurs de gauche que si
nous parlons du cœur de la gauche et non de l’extérieur, que si nous
apparaissons animés de la volonté de réussir le changement en formulant des
propositions politiques qui aillent dans ce sens et en mobilisant pour les faire
aboutir, en portant à l’Assemblée et au Sénat des revendications du mouvement
social, en articulant travail parlementaire et mobilisations citoyennes. Bref,
en participant à la construction d’une dynamique de changement. En même temps,
nous devons affirmer notre disponibilité à agir avec toute la gauche pour
affronter la droite et l’extrême droite, le patronat et la finance, les gouvernements
libéraux et la commission européenne, pour desserrer la “contrainte
extérieure”, modifier la répartition des richesses et des pouvoirs, satisfaire
les besoins sociaux, etc.
La clé pour bousculer la
situation, c’est l’intervention du peuple et du mouvement social nous en sommes
convaincus, mais nous savons d’expérience que cela ne se décrète pas et que
nous ne devons donc pas faire comme si c’était déjà acquis.
Il ne
suffit pas d’attendre l’irruption populaire, il faut prendre des initiatives
politiques pour y contribuer. Certes, ce sont d’abord les syndicats (et associations)
qui ont la main dans ce domaine, mais le Front de Gauche doit prendre des
initiatives et formuler des propositions crédibles susceptibles de nourrir la
mobilisation. Indépendamment de sa propre activité, il doit savoir s’impliquer
dans les mobilisations unitaires porteuses d’objectifs convergents.
Plusieurs thèmes de
campagnes, d’initiatives, d’actions, viennent à l’esprit :
-
contre la ratification du traité “Merkozy”, pour changer les traités, modifier
les statuts de la banque centrale européenne, pour une banque publique
d’investissement européenne…
-
pour un pôle public financier puissant et pas seulement une banque publique
d’investissement marginale…
-
pour une réforme fiscale ambitieuse et une remise à plat des aides aux
entreprises…
-
pour des droits et pouvoirs nouveaux pour les salariés dans les entreprises…
-
pour la proportionnelle, vers la 6° République…
-
pour une politique de l’emploi combinant investissement public, réindustrialisation
et transition écologique, réponse aux besoins sociaux par les services publics,
réduction du temps de travail, sécurité sociale professionnelle…
-
pour un ensemble de mesures en faveur du pouvoir d’achat (smic, loyers, prix…)…
-
pour l’élargissement du financement de la protection sociale permettant la
garantie des droits…
-
etc.
Le Front de Gauche doit
être porteur de mesures qui répondent aux nécessités de l’heure, à la fois pour
desserrer l’étau de la “contrainte extérieure” et pour répondre aux besoins
sociaux. Il doit développer de larges campagnes de masse pour les faire
connaître dans la population et mener la bataille politique et parlementaire en
direction de la majorité gouvernementale pour leur prise en compte. C’est en
apparaissant les plus déterminés à gauche pour réussir un vrai changement que
le Front de Gauche apparaîtra utile à la gauche et au peuple et renforcera sa crédibilité.
CD/JR- 25 juin 2012
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