l'interview suivante, après un texte important publié récemment par Greenpeace, marque un progrès pour un débat serein, riche, débarrassé des lobbies nucléaires, gaziers et pétroliers. C'est le début d'une réflexion: réagissez, intervenez, l'enjeu est important
Les énergies renouvelables n’ont pas atteint leurs
limites, mais elles
s’y frotteront tôt
ou tard, estime Yves de
Saint-Jacob, coauteur, avec Jacques Foos,
de Peut-on se passer du
nucléaire ?
Vous expliquez dans votre livre que l’on ne pourra pas se
passer de nucléaire. Pourquoi des limites s’imposeraient-elles
aux
énergies renouvelables ?Yves de Saint-Jacob. Il n’y a pas d’énergie idéale : toutes ont leurs limites et leurs inconvénients.
L’éolien et le solaire ont le défaut d’être intermittents. Tant que nous n’aurons pas fait des progrès considérables dans le stockage de l’électricité, cette caractéristique freinera leur développement. Ces progrès ne sont pas impensables. Lorsque les Soviétiques ont pris, avec Gagarine, de l’avance dans la conquête de l’espace, les Américains ont décidé, de façon volontaire, de les rattraper et d’envoyer un homme sur la Lune. Moins de dix ans après, ce fut fait. C’est le plus bel exemple de volontarisme scientifique. Nous appelons cela le « spoutnik moment ». Le monde devrait sauter de nouveau le pas sur une série de thèmes de recherches : le stockage de l’électricité, son transport sans pertes… Mais tant que cela ne sera pas fait, éolien et solaire ne pourront se développer au-delà d’un certain seuil. Les autres énergies renouvelables ont aussi leurs contraintes. L’hydraulique est une énergie puissante, mais il existe de fait une limite géographique à l’installation de barrages. Les biocarburants, eux, posent un problème d’arbitrage quant à l’affectation des sols : quelle part pour l’énergie, quelle part pour l’alimentation ? Bref, à ce jour, le mix est nécessaire, nucléaire et fossiles compris.
Dans quelle proportion ?
Yves de Saint-Jacob. Nous exposons trois scénarios indicatifs pour 2050, dans lesquels nous envisageons le développement de toutes les énergies au maximum de leur potentiel. Ainsi, entre 2010 et 2050, nous supposons que la part des énergies renouvelables, toutes cumulées, passera de quelque 12,5 % aujourd’hui à 47 %. C’est colossal, notamment en termes de coût de déploiement. Cela implique de multiplier l’éolien par un facteur 100 et le solaire par un facteur 400. Par ailleurs, nous envisageons que les énergies fossiles chutent de moitié pour passer de 82 % à 42 % et que la consommation d’énergie baisse de 40 % dans le monde dit « riche ». Reste que, si l’on veut couvrir les besoins de la planète, le nucléaire devra passer de 5,9 % à 10,5 %.
Certains scénarios scientifiques compilés par le Giec avancent que les énergies renouvelables pourraient couvrir près de 80 % de la consommation mondiale en 2050. Péché d’optimisme ?
Yves de Saint-Jacob. Oui, 80 % nous paraît utopique. N’oublions pas que si l’on suit la pente de progression du XXe siècle, notre consommation sera multipliée par 3. Si l’on suit celle des dix premières années du XXIe siècle, elle sera multipliée par 5. Bien sûr, on peut supposer que les courbes vont brusquement obliquer… Mais, jusqu’à présent, ce n’est pas le cas. Cela dit, il ne faut pas uniquement penser l’augmentation de la consommation énergétique comme un mal. L’énergie, c’est la vie et le développement. C’est la santé, l’éducation, l’accès à l’eau : à l’origine de tout, il y a des kWh. Une femme qui porte un enfant neuf mois et accouche sans assistance médicale « consomme » 90 kWh. Avec un suivi médical moderne, elle consomme 4 000 kWh. Toutes les femmes du monde ont droit à ce suivi, mais cela multiplie la consommation par 45…
Vous avancez donc trois scénarios de développement. Le modèle « XXe siècle » est celui qui consomme le moins…
Yves de Saint-Jacob. Parce que le développement « XXe siècle » a été certes très important, mais surtout limité à une partie de la population mondiale. Aujourd’hui, on ne fera peut-être pas les erreurs du passé. Cela dit, plus d’hommes et de femmes, se comparant au reste du monde, aspirent au bien-être. C’est un aspect positif de la mondialisation souvent passé sous silence.
Selon nous, le nucléaire doit répondre à deux enjeux prioritaires : freiner le réchauffement de la planète et assurer le développement de ses habitants. Nous étions 1,6 milliard en 1900, nous sommes 7 milliards aujourd’hui, nous serons 10 milliards en 2050. Mais, encore une fois, plus d’habitants, plus d’énergie, ce n’est pas la fin du monde ! Il faut lutter contre le catastrophisme ambiant.
Vous paraissez sceptique quant à la réalisation du scénario du « partage »…
Yves de Saint-Jacob. Tout simplement à cause d’un calcul arithmétique simple. Le monde développé représente 20 % de la population mondiale et consomme 80 % de l’énergie. Ce que vous diminuerez du côté des happy few ne suffira pas, à volume global constant, à satisfaire les milliards d’êtres humains défavorisés en matière énergétique.
Pour l’heure, la France affiche plutôt un retard en matière d’énergies renouvelables. Le développement du nucléaire s’impose-t-il de la même manière pour les pays du Nord et ceux du Sud ?
Yves de Saint-Jacob. Elle n’est pas en retard si l’on inclut l’hydraulique, ce que l’on oublie souvent de faire. En matière d’éolien et de solaire, de grands appels d’offres ont été lancés, aptes à déclencher un développement mal assuré par les petites exploitations. Et pour elle, l’enjeu nucléaire est d’abord celui de l’amélioration des performances et de la sécurité. En tout état de cause, le choix du nucléaire ne dépend pas du niveau de richesse du pays. Il doit dépendre de son niveau de développement technologique et de son organisation administrative. L’Inde, de ce point de vue, peut tout à fait être une puissance du nucléaire civil.
Greenpeace a fait la démonstration qu’il n’est pas impossible de s’introduire dans une centrale. Jusqu’à quel point peut-on garantir la sécurité des installations ?
Yves de Saint-Jacob. Il faut « penser l’impensable ». En matière de catastrophes naturelles comme de dangers « humains ». S’il est prouvé que l’intrusion de Greenpeace n’a pas été bien contrôlée par les services de sécurité, alors il faut renforcer ces services. Il faut aussi le faire, d’ailleurs, autour des installations chimiques dangereuses, dans les aéroports… Le nucléaire n’a pas le monopole des risques. La recherche de la sécurité et de la sûreté maximales ne s’arrêtera jamais.
Et jusqu’à quel point peut-on garantir la maîtrise de l’énergie atomique, quand le secteur industriel privé est en passe de mettre la main dessus ?
Yves de Saint-Jacob. Nous croyons dans la mise en place d’institutions de contrôle publiques et indépendantes. De ce point de vue, l’ASN, présidée par André-Claude Lacoste, et son « bras armé », l’IRSN, donnent des garanties excellentes. Plusieurs pays, dont le Japon, en ont témoigné. Ces institutions doivent avoir tout pouvoir pour stopper ou donner des feux verts aux opérateurs publics ou privés. Mais, d’une façon générale, il est vrai que l’État ne peut pas se désengager de secteurs où se joue une part de la sécurité nationale.
Cet entretien est très riche en réflexions et en enseignements. La situation n'est pas si simple à régler, contrairement aux déclaration de certains partis et groupes écologistes. Certes, un monde dénucléarisé serait l'idéal, mais on le voit bien avec l'exemple de l'Allemagne, une sortie rapide ferait inévitablement appel aux énergies carbonnées. Nous connaissons aussi les limites du solaire (ceci dit en passant il s'agit d'une énergie très polluante pour la production des cellules photovoltaiques), de l'éolien dont on connait les limites, alors certes, il faut que la part du renouvelable soit la plus important possible, mais cela ne peux pas suffire en l'état actuel de la demande. Ce qui reste fondamental est le développement de la recherche sous controle public, dans le but de trouver les énergies de demain et de rendre pus sures et moins polluantes les diverses sources de production. Ce qui découle inévitablement sur l'exigence d'un pôle public de l'énergie. Prenons l'exemple de l'accident de Fukushima au Japon, au lieu de hurler avec les loups, quelques exemples qui demontrent que sans controle public, le nucléaire peut être plus dangereux encore. Dans le but de réaliser encore plus de profits, Tepco, l'opérateur du site, n'avait pas suivi les recommandations et n'a pas réalisé l'endiguage nécéssaire, toujours dans un souci de rentabilité immédiate, Tepco a trop attendu avent de noyer les réacteurs, les conséquences ont été désastreuses comme chacun le sait. La sortie du nucléaire, si elle doit venir à l'ordre du jour, doit impérativement s'accompagner d'un débat éclairé, à ce sujet je renvoie vers la note de Denis Cohen / http://www.gabrielperi.fr/Nucleaire-debattre-avant-de / nuclaire débattre avent de décider. Enfin il faut aussi prendre en compte les aspirations de 2 milliard d'êtres humains qui sur terre n'ont pas accès à l'énergie. Sortir du nucléaire, ce n'est pas si simple que cela.
RépondreSupprimerLes commentaires précédents ne dédouanent aucunement les autorités actuelles des obligations de controle et de surveillance qui doivent être primordiales, on ne doit pas faire de la sécurité un enjeu mineur devant rentrer dans la course au profit.
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