Comment les actionnaires utilisent-ils l’argent qui leur est versé par les entreprises?
Par arlette charlot, chargée de mission
dans un cabinet d’expertises comptables spécialisé dans l’assistance aux
comités d’entreprise.
Le coût du travail est systématiquement stigmatisé sans jamais
qu’il soit fait la moindre référence au coût du capital. Pourtant, le
pouvoir de l’actionnaire est exorbitant. Il détermine lui-même sa
rémunération, sous des modes de plus en plus complexes. C’est là le
facteur clé des déséquilibres économiques et sociaux actuels, de la
montée du chômage et de la pauvreté.
Les salaires sont fixés au terme d’âpres négociations entre le patronat et les salariés, dans une relation particulièrement déséquilibrée en faveur du patronat et bien sûr, seul le travail effectif est rémunéré.
La rémunération du capital emprunté est négociée entre l’emprunteur et le prêteur. La législation prévoit un taux d’intérêt maximum, dit taux d’usure. Le montant de l’intérêt est fonction du capital emprunté. En revanche, la rémunération du capital social, c’est-à-dire des actions, est sans limite, sans garde-fous et sans négociation. Elle s’effectue sous des formes nouvelles et masquées, la forme originelle des dividendes n’étant plus qu’un des éléments de cette rémunération.
Les dividendes, dont les montants sont décidés unilatéralement par les actionnaires, sont parfois bien supérieurs à leur apport en capital dans la société. Dans une entreprise de titane, pour un capital de 8 millions d’euros, l’actionnaire en reçoit 10 à 15 millions en moyenne par an et ceci depuis plus de dix ans. Ce qui ne l’a pas empêché de demander et d’obtenir une subvention publique pour l’installation dans de nouveaux locaux. Dans les remontées mécaniques, dans la maroquinerie de luxe, chez des équipementiers automobiles, les dividendes versés sont bien supérieurs, et sans commune mesure avec le capital social. Quant aux entreprises gestionnaires, sous forme de délégation de service public de transports urbains, il n’y a plus aucun rapport entre le capital versé et les dividendes reçus (jusqu’à 10 fois supérieures chaque année). La seule limite est constituée par le montant des bénéfices réalisés. Mais elle est perçue aujourd’hui par l’actionnaire comme insupportable en raison de l’impôt sur le bénéfice et de la participation des salariés.
D’autres formes de prélèvements sont, alors, apparues avec la montée en puissance des groupes. Des frais dits de management (frais de siège, ou frais d’assistance) sont facturés aux filiales de production, constituant une ponction pure et simple sur leur chiffre d’affaires. La plupart des groupes pratiquent ce genre de prélèvements moins visibles. Ils échappent à l’impôt et à la vigilance des salariés. Les champions toute catégorie sont les gestionnaires de délégation de service public pour les transports en commun, qui outre le versement de dividendes, utilisent ce subterfuge pour masquer aux yeux de la collectivité les prélèvements du groupe. Mais on trouve aussi des équipementiers automobiles qui reçoivent force subventions depuis 2009, bénéficient de dégrèvements de cotisations sociales et pourtant continuent à verser des montants substantiels (15 % du chiffre d’affaires) de frais de siège à leur maison mère. Des entreprises dans le secteur de la cosmétique et de la petite pharmacie versent des montants très élevés à d’autres filiales du groupe pour des frais de recherche-développement, des commissions sur achat, sur vente. Les entreprises de fabrication sont tout juste à l’équilibre ou en déficit, malgré de bas salaires. Les sociétés mères, qui ne vivent que de ces redevances, dégagent de gros bénéfices. On trouve même des entreprises familiales qui adoptent cette méthode en créant une holding qui ponctionne, au travers de facturations en tout genre, l’entreprise de production. Les salaires des dirigeants et les prélèvements des actionnaires sont alors localisés dans la holding, loin des regards des salariés.
Mais un des modes de rémunération le plus utilisé aujourd’hui est constitué par les prix de transfert : l’entreprise est découpée en plusieurs entités, celles qui fabriquent, celles qui vendent, celles qui gèrent, celles qui encadrent. Systématiquement, l’entreprise de production vend ses produits à des prix inférieurs aux prix de revient. La marge ne se réalise que dans l’entreprise choisie par l’actionnaire. À titre d’exemple, dans la maroquinerie de luxe, les entreprises de fabrication de sacs à main sont toujours en déficit malgré les bas salaires. Leur production est vendue à une filiale de commercialisation qui, elle, dégage d’énormes bénéfices. Cette pratique permet d’optimiser la marge tout en faisant forte pression sur les salaires des entreprises mises artificiellement en déficit. Une entreprise de décodeurs pour télévision a ainsi supporté pendant des années des déficits dits « structurels » en vendant sa production à une filiale de commercialisation, elle-même déficitaire du fait d’un montant très élevé de redevances pour brevets versées à une troisième filiale, qui, elle, dégageait d’énormes excédents. Cette pratique se retrouve aussi dans nombre d’entreprises de la métallurgie.
Cette stratégie peut aller plus loin. L’entreprise chargée de dégager la marge est alors située, par souci d’« optimisation fiscale », dans un paradis fiscal. C’est le cas d’un groupe industriel de production de moteurs, vannes et pompes. L’entreprise chargée de la commercialisation est située en Suisse et c’est elle qui fait la marge. Les exemples sont très nombreux dans tous les secteurs d’activité, avec les paradis fiscaux
Mais l’appétit des actionnaires est illimité. L’entreprise elle-même devient objet de spéculation : elle est achetée et revendue dans le seul but de dégager une plus-value. Non seulement l’entreprise ne perçoit rien de cette plus-value mais elle va devoir la financer. L’actionnaire acquéreur demandera une rémunération (dividendes ou autres) pour la totalité du capital investi par lui alors qu’une part essentielle n’a pas été investie dans l’entreprise mais est allée dans la poche de l’actionnaire précédent. Cette stratégie est mise en œuvre par les fonds de pension, les fonds d’investissement et certains groupes financiers. Après tous ces prélèvements, si l’entreprise est exsangue et ne peut plus répondre aux diktats des actionnaires, ceux-ci la ferment, licencient le personnel et récupèrent les actifs : terrains, constructions, matériel… et se paient. Dans le capitalisme financier, l’entreprise qui ne donne plus satisfaction aux actionnaires est condamnée à la peine de mort !
Mais à quoi sert l’argent versé aux actionnaires ?
- à spéculer sur les marchés financiers,
- à racheter des entreprises pour les revendre,
- à investir dans les pays à bas coût de main-d’œuvre,
- à enrichir les personnes physiques de la classe dominante.
L’investissement productif pour la collectivité est quasiment absent des utilisations des prélèvements des actionnaires. Non seulement le coût de rémunération du capital pénalise lourdement, voire tue les entreprises, mais, en plus, il déstabilise les économies.
Il est urgent de limiter les prélèvements de l’actionnaire, sous toutes leurs formes, à un taux maximum. Un taux d’usure de 20 %, comme pour les intérêts d’emprunt, serait déjà très généreux. Diminuer le coût du travail, en diminuant les salaires, est une catastrophe économique et sociale car elle diminue la consommation des ménages et augmente les revenus des actionnaires alors que c’est tout le contraire qu’il faut faire pour enrayer la crise.
Les salaires sont fixés au terme d’âpres négociations entre le patronat et les salariés, dans une relation particulièrement déséquilibrée en faveur du patronat et bien sûr, seul le travail effectif est rémunéré.
La rémunération du capital emprunté est négociée entre l’emprunteur et le prêteur. La législation prévoit un taux d’intérêt maximum, dit taux d’usure. Le montant de l’intérêt est fonction du capital emprunté. En revanche, la rémunération du capital social, c’est-à-dire des actions, est sans limite, sans garde-fous et sans négociation. Elle s’effectue sous des formes nouvelles et masquées, la forme originelle des dividendes n’étant plus qu’un des éléments de cette rémunération.
Les dividendes, dont les montants sont décidés unilatéralement par les actionnaires, sont parfois bien supérieurs à leur apport en capital dans la société. Dans une entreprise de titane, pour un capital de 8 millions d’euros, l’actionnaire en reçoit 10 à 15 millions en moyenne par an et ceci depuis plus de dix ans. Ce qui ne l’a pas empêché de demander et d’obtenir une subvention publique pour l’installation dans de nouveaux locaux. Dans les remontées mécaniques, dans la maroquinerie de luxe, chez des équipementiers automobiles, les dividendes versés sont bien supérieurs, et sans commune mesure avec le capital social. Quant aux entreprises gestionnaires, sous forme de délégation de service public de transports urbains, il n’y a plus aucun rapport entre le capital versé et les dividendes reçus (jusqu’à 10 fois supérieures chaque année). La seule limite est constituée par le montant des bénéfices réalisés. Mais elle est perçue aujourd’hui par l’actionnaire comme insupportable en raison de l’impôt sur le bénéfice et de la participation des salariés.
D’autres formes de prélèvements sont, alors, apparues avec la montée en puissance des groupes. Des frais dits de management (frais de siège, ou frais d’assistance) sont facturés aux filiales de production, constituant une ponction pure et simple sur leur chiffre d’affaires. La plupart des groupes pratiquent ce genre de prélèvements moins visibles. Ils échappent à l’impôt et à la vigilance des salariés. Les champions toute catégorie sont les gestionnaires de délégation de service public pour les transports en commun, qui outre le versement de dividendes, utilisent ce subterfuge pour masquer aux yeux de la collectivité les prélèvements du groupe. Mais on trouve aussi des équipementiers automobiles qui reçoivent force subventions depuis 2009, bénéficient de dégrèvements de cotisations sociales et pourtant continuent à verser des montants substantiels (15 % du chiffre d’affaires) de frais de siège à leur maison mère. Des entreprises dans le secteur de la cosmétique et de la petite pharmacie versent des montants très élevés à d’autres filiales du groupe pour des frais de recherche-développement, des commissions sur achat, sur vente. Les entreprises de fabrication sont tout juste à l’équilibre ou en déficit, malgré de bas salaires. Les sociétés mères, qui ne vivent que de ces redevances, dégagent de gros bénéfices. On trouve même des entreprises familiales qui adoptent cette méthode en créant une holding qui ponctionne, au travers de facturations en tout genre, l’entreprise de production. Les salaires des dirigeants et les prélèvements des actionnaires sont alors localisés dans la holding, loin des regards des salariés.
Mais un des modes de rémunération le plus utilisé aujourd’hui est constitué par les prix de transfert : l’entreprise est découpée en plusieurs entités, celles qui fabriquent, celles qui vendent, celles qui gèrent, celles qui encadrent. Systématiquement, l’entreprise de production vend ses produits à des prix inférieurs aux prix de revient. La marge ne se réalise que dans l’entreprise choisie par l’actionnaire. À titre d’exemple, dans la maroquinerie de luxe, les entreprises de fabrication de sacs à main sont toujours en déficit malgré les bas salaires. Leur production est vendue à une filiale de commercialisation qui, elle, dégage d’énormes bénéfices. Cette pratique permet d’optimiser la marge tout en faisant forte pression sur les salaires des entreprises mises artificiellement en déficit. Une entreprise de décodeurs pour télévision a ainsi supporté pendant des années des déficits dits « structurels » en vendant sa production à une filiale de commercialisation, elle-même déficitaire du fait d’un montant très élevé de redevances pour brevets versées à une troisième filiale, qui, elle, dégageait d’énormes excédents. Cette pratique se retrouve aussi dans nombre d’entreprises de la métallurgie.
Cette stratégie peut aller plus loin. L’entreprise chargée de dégager la marge est alors située, par souci d’« optimisation fiscale », dans un paradis fiscal. C’est le cas d’un groupe industriel de production de moteurs, vannes et pompes. L’entreprise chargée de la commercialisation est située en Suisse et c’est elle qui fait la marge. Les exemples sont très nombreux dans tous les secteurs d’activité, avec les paradis fiscaux
Mais l’appétit des actionnaires est illimité. L’entreprise elle-même devient objet de spéculation : elle est achetée et revendue dans le seul but de dégager une plus-value. Non seulement l’entreprise ne perçoit rien de cette plus-value mais elle va devoir la financer. L’actionnaire acquéreur demandera une rémunération (dividendes ou autres) pour la totalité du capital investi par lui alors qu’une part essentielle n’a pas été investie dans l’entreprise mais est allée dans la poche de l’actionnaire précédent. Cette stratégie est mise en œuvre par les fonds de pension, les fonds d’investissement et certains groupes financiers. Après tous ces prélèvements, si l’entreprise est exsangue et ne peut plus répondre aux diktats des actionnaires, ceux-ci la ferment, licencient le personnel et récupèrent les actifs : terrains, constructions, matériel… et se paient. Dans le capitalisme financier, l’entreprise qui ne donne plus satisfaction aux actionnaires est condamnée à la peine de mort !
Mais à quoi sert l’argent versé aux actionnaires ?
- à spéculer sur les marchés financiers,
- à racheter des entreprises pour les revendre,
- à investir dans les pays à bas coût de main-d’œuvre,
- à enrichir les personnes physiques de la classe dominante.
L’investissement productif pour la collectivité est quasiment absent des utilisations des prélèvements des actionnaires. Non seulement le coût de rémunération du capital pénalise lourdement, voire tue les entreprises, mais, en plus, il déstabilise les économies.
Il est urgent de limiter les prélèvements de l’actionnaire, sous toutes leurs formes, à un taux maximum. Un taux d’usure de 20 %, comme pour les intérêts d’emprunt, serait déjà très généreux. Diminuer le coût du travail, en diminuant les salaires, est une catastrophe économique et sociale car elle diminue la consommation des ménages et augmente les revenus des actionnaires alors que c’est tout le contraire qu’il faut faire pour enrayer la crise.
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